Comptes, 8 juillet 2025, Commune de Morne-À-L’Eau, n° S-2025-0978
« Repetitio mater studiorum » dit l’adage. Pour la deuxième fois en deux ans, la Chambre du contentieux de la Cour des comptes condamne un maire pour défaut d’exécution d’une décision de justice ayant entraîné la condamnation de sa commune à une astreinte.
L’article L. 131-14 du code des juridictions financières réprime en effet le défaut ou le retard d’exécution d’une décision de justice par deux infractions voisines :
- D’une part, le fait d’entraîner, par son inaction, la condamnation d’une personne morale de droit public à une astreinte, que le juge peut prononcer en cas d’inexécution de sa décision (CJF, art. L. 131-14, 1°) ;
- D’autre part, lorsque la personne publique a été condamnée à payer une somme d’argent, le défaut de paiement dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision de justice, prévu par la loi n° 80-539 du 16 juillet 1980 (CJF, art. L. 131-14, 2°).
Dans le deuxième arrêt de son histoire, la Chambre du contentieux de la Cour des comptes avait rappelé ces obligations pesant sur les gestionnaires publics et les sanctions qu’ils encourent en condamnant le maire d’Ajaccio à une amende de 10 000 euros pour avoir tardé dans l’exécution d’un jugement ordonnant la réintégration d’un agent (C. Comptes, 31 mai 2023, Commune d’Ajaccio, n° S-2023-0667).
Quelques mois plus tard, la Cour des comptes enfonçait le clou, non plus à l’égard d’élus locaux mais d’agents de la fonction publique hospitalière en condamnant la directrice, le directeur par intérim et la responsable des affaires générales d’un centre hospitalier à des amendes respectivement de 7 000, 2 000 et 1 000 € (C. Comptes, 10 juillet 2023, Centre hospitalier Sainte-Marie à Marie-Galante, n° S-2023-0858). En cause, encore l’inexécution de décisions de justice dans le domaine des ressources humaines (reconnaissance de l’imputabilité au service d’une maladie). Nous en parlions ici.
Par ce troisième arrêt, la Cour des comptes condamne le maire de la commune de Morne-À-L’Eau en Guadeloupe pour avoir tardé à exécuter des ordonnances de référé qui avaient suspendu la radiation des cadres prononcées envers un agent et enjoint sa réintégration.
Si les sommes mises à la charge de la commune par le tribunal administratif avaient fini par être payées, ce n’avait été qu’avec retard et, au surplus, non pas à l’initiative de la collectivité mais sur mandatement d’office du préfet.
Ce nouvel arrêt fournit l’occasion de rappeler les traits principaux des infractions financières liées à l’inexécution ou l’exécution tardive des décisions de justice :
- Le créancier de l’administration est compétent pour déférer les faits à la Cour des comptes en vue de l’engagement de poursuites, comme cela a été le cas dans la présente affaire : nul besoin que la Chambre régionale des comptes ou le Parquet général de la Cour des comptes ait l’initiative de la procédure ; ce déféré interrompt le délai de prescription des infractions (cinq ans) ;
- Par exception à l’immunité dont ils bénéficient, les élus locaux sont justiciables de ces infractions (avec celle d’avantage injustifié accordé à autrui ou soi-même, à condition toutefois que le comptable public ait été réquisitionné) ;
- La loi fixe aux personnes publiques un délai de deux mois pour payer les sommes auxquelles elles ont été condamnées par une décision juridictionnelle passée en force de chose jugée : le seul dépassement de ce délai suffit à caractériser l’infraction prévue au 1° de l’article L. 131-14 ;
- La condamnation à une astreinte doit être postérieure à la décision de justice condamnant la personne publique à payer ou à faire (réintégrer un agent par exemple) : les astreintes fixées ab initio (CJA, art. L. 911-3) n’entrent pas dansle champ de l’infraction ;
- Pour déterminer la sanction, les juges financiers prennent en compte les circonstances atténuantes ou aggravantes. Au titre de celles-ci, la mauvaise volonté manifestée à réintégrer un agent (ou à indemniser un administré) entre bien évidemment en ligne de compte.
À l’heure où certains – rares – élus locaux jugent bon de médiatiser leur opposition à des décisions de justice qui leur sont défavorables ou leur déplaisent, ce nouvel arrêt rappelle qu’ils ne s’exposent pas seulement à la réprobation morale des citoyens attachés à l’État de droit mais également à voir leur responsabilité financière engagée en tant que gestionnaires publics.