La Cour de cassation a récemment rappelé le respect d’un principe essentiel, dans les rapports entre le bailleur et le locataire : l’obligation de délivrance.
Ainsi, dans un arrêt du 10 avril 2025 (Civile 3ème 10 avril 2025, n° 23-14.974), la Haute juridiction a jugé au visa des articles 1719 et 1720 du Code civil qu’:
« Une clause de non-recours, qui n’a pas pour objet de mettre à la charge du preneur certains travaux d’entretien ou de réparation, n’a pas pour effet d’exonérer le bailleur de son obligation de délivrance ».
Contexte de l’affaire :
Dans cette affaire, un bail commercial avait été conclu entre une société locataire de bureaux et une société bailleresse.
Constatant d’importants désordres affectant les locaux, notamment de nombreuses infiltrations d’eau, la locataire a saisi le juge des référés afin d’obtenir une expertise. Un expert a été désigné par ordonnance en date du 10 septembre 2009.
Entre-temps, la locataire a signifié un congé à son bailleur, avec effet au 14 septembre 2010.
Plus d’un mois après cette notification, la bailleresse a assigné la locataire et a sollicité :
- Le paiement des loyers et charges impayés,
- L’application de la clause pénale prévue au contrat,
- Le remboursement des réparations locatives, ainsi que des dommages-intérêts.
En défense, la locataire a formé une demande reconventionnelle, sollicitant :
- Le remboursement partiel des loyers et charges versés,
- L’indemnisation des préjudices résultant, selon elle, d’un manquement du bailleur à son obligation de délivrance conforme
Dans le contrat de bail, il était prévu une clause de renonciation à recours stipulant :
« que le preneur s’engage pour lui-même et ses assureurs à renoncer à tout recours contre le bailleur et ses assureurs du fait de la destruction ou de la détérioration totale ou partielle de tous matériels, objets mobiliers, valeurs quelconques et marchandises, du fait de la privation ou de troubles de jouissance des lieux loués et même en cas de perte totale ou partielle des moyens d’exploitation »
En première instance, le tribunal avait fait droit à l’indemnisation des différents préjudices de la locataire et avait estimé qu’une telle clause ne pouvait pas exonérer le bailleur de son obligation de délivrance.
La bailleresse a interjeté appel de cette décision.
La Cour d’appel a infirmé la décision de première instance et a estimé que l’article 1720 du Code civil mettant à la charge du bailleur toutes les réparations autres que locatives n’était pas d’ordre public et qu’il était possible d’y déroger par des conventions particulières. (Cour d’appel de Versailles RG n° 21/07230).
Elle a donc en conséquence décider de faire application de la clause du bail susmentionnée.
La Cour de cassation a censuré partiellement la décision des juges d’appel et a considéré que la Cour d’appel avait violé l’article 1720 du Code civil en statuant ainsi alors qu’elle était saisie de demandes indemnitaires fondées sur un manquement de la bailleresse à son obligation de délivrance.
Rappel des articles 1719 et 1720 du Code civil
Pour rappel l’obligation de délivrance est régie par les articles 1719 et 1720 du Code civil :
Ainsi, l’article 1719 du Code civil pose le cadre du principe en ces termes :
« Le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière :
1° De délivrer au preneur la chose louée et, s’il s’agit de son habitation principale, un logement décent. Lorsque des locaux loués à usage d’habitation sont impropres à cet usage, le bailleur ne peut se prévaloir de la nullité du bail ou de sa résiliation pour demander l’expulsion de l’occupant ;
2° D’entretenir cette chose en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée ;
3° D’en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail ;
4° D’assurer également la permanence et la qualité des plantations. »
Tandis que l’article 1720 du même code apporte des précisions sur le contenu de cette obligation.
Il résulte donc de ce dernier article que le bailleur est tenu de délivrer la chose en bon état de réparations de toute espèce et qu’il doit y faire, pendant la durée du bail, toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaires, autres que les locatives.
Portée de cet arrêt
- L’obligation de délivrance doit être respectée peu importe le type de bail en question même dans le cadre d’un bail commercial.
- L’obligation de délivrance conforme du bailleur ne peut être écartée ni restreinte par une clause contractuelle, notamment une clause de non-recours.
- Les preneurs conservent un droit à indemnisation même si une clause semble limiter leur recours.