La distinction entre réception sans réserve et réception sous réserve a longtemps suscité des interrogations, notamment quant à ses conséquences juridiques sur la garantie de parfait achèvement (GPA) et la clôture financière du marché.
Deux décisions récentes du Conseil d’État (CE, 13 décembre 2024, n°489720 et CE, 20 décembre 2024, n°475416) apportent une clarification en alignant les régimes applicables à ces formes de réception.
Réception sous réserve : un cadre désormais bien défini :
Le CCAG Travaux 2021 distingue plusieurs formes de réception (articles 41.3 à 41.6) :
- Réception sans réserve : les travaux sont considérés comme achevés et conformes.
- Réception avec réserve (article 41.6) : certains désordres ou malfaçons subsistent.
- Réception sous réserve : concerne deux cas particuliers :
- Des prestations non réalisées mais devant l’être dans un délai de trois mois (article 41.5),
- Des essais ou tests à effectuer postérieurement (article 41.4).
Contrairement à la réception avec réserve, qui est une reconnaissance de non-conformités, la réception sous réserve ne remet pas en cause l’acceptation des travaux ; elle prolonge simplement l’exécution contractuelle pour les éléments restant à réaliser ou à tester.
Cette distinction impacte notamment le décompte général et définitif, car la réception sous réserve ne permet pas de clôture financière immédiate du marché. La relation contractuelle demeure jusqu’à l’achèvement des prestations réservées, permettant alors la présentation du projet de décompte final.
Garantie de parfait achèvement : un point de départ unique
Dans son arrêt du 13 décembre 2024, le Conseil d’État rappelle que la garantie de parfait achèvement (GPA) court pendant un an à compter de la date d’effet de la réception, qu’elle soit avec ou sous réserve (conformément à l’article 41.3 du CCAG Travaux).
Cela signifie que le délai d’un an pour signaler les désordres dans le cadre de la GPA commence dès la réception, et non à la levée des réserves. Le maître d’ouvrage doit donc être vigilant, y compris pour des prestations achevées postérieurement à la réception.
Sur ce point, il est vivement recommandé aux maîtres d’ouvrages de prolonger la garantie d’achèvement jusqu’à reprise complète des désordres signalés et non de la prolonger pour une durée définie.
Garantie décennale : réception unique, délai unique
L’arrêt du 20 décembre 2024 (CE, n°475416) étend sans surprise cette logique à la garantie décennale. Il confirme que l’action en garantie décennale se prescrit par dix ans à compter de la réception, qu’elle soit avec ou sous réserve.
Cette clarification évite ainsi toute incertitude sur le départ du délai de garantie mais aussi de prescritpion.
Effets contractuels de la réception sous réserve
La réception sous réserve maintient la relation contractuelle pour les prestations inachevées (CE, 16 janvier 2012, Commune du Château d’Oléron, n°352122) et l’article 41.5 du CCAG prévoit qu’elles doivent être achevées dans un délai de trois mois.
Durant cette période, la réception ne produit donc pas tous ses effets financiers, en particulier sur la clôture des comptes et le DGD.
Par ailleurs, la GPA couvre aussi les travaux de reprise ou confortatifs (article 44.1 du CCAG), ce qui peut créer une interaction complexe entre la levée des réserves et l’échéance du délai de garantie.
Une solution critiquable ?
L’uniformisation du point de départ de la GPA soulève des difficultés pratiques.
Si la levée des réserves intervient tardivement, la GPA pourrait expirer avant que les prestations concernées ne soient réalisées. De plus, si des désordres nouveaux apparaissent lors de la levée des réserves, ils ne seront pris en charge que s’ils sont signalés dans le délai initial.
Toutefois, le Conseil d’État précise que cette règle s’applique “sauf stipulations contraires du contrat”. Il est donc possible pour les maîtres d’ouvrage d’aménager contractuellement dans le CCAP le départ de la GPA à la levée des réserves mentionnées dans le procès-verbal de réception sous réserves.
Conclusion
Les décisions du Conseil d’État de décembre 2024 posent une règle simple : la GPA et la garantie décennale courent à compter de la réception, qu’elle soit avec ou sous réserve. Si cette solution assure une cohérence juridique, elle pose des difficultés pratiques pour les maîtres d’ouvrage, notamment en cas de retards ou d’apparition de nouveaux désordres alors même que des réserves ne seraient pas levées.
Une vigilance s’impose donc au maître d’ouvrage afin de bien identifier les fondements sur lesquels se reposer selon la temporalité des désordres affectant l’ouvrage.