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Réception judiciaire et réserves : un atout pour le maître d’ouvrage ?

Réception judiciaire et réserves : un atout pour le maître d’ouvrage ?

Par un arrêt du 30 janvier 2025 (n°23-13.369), la troisième chambre civile de la Cour de cassation a rappelé que la réception judiciaire peut être prononcée à la date à laquelle l’ouvrage est en état d’être reçu, et qu’elle peut être assortie de réserves. Si cette position s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence, elle conduit à s’interroger sur les conditions dans lesquelles une telle demande peut être accueillie, ainsi que sur les implications pratiques de la présence de réserves lors de la réception judiciaire.

  1. Une confirmation bienvenue

La réception judiciaire constitue un mécanisme particulièrement utile en cas de blocage de la réception amiable, notamment lorsque le maître d’ouvrage refuse de signer le procès-verbal, parfois de manière abusive, ou en cas d’inertie du constructeur.

Elle présente un double intérêt :

  • Pour le maître d’ouvrage, elle permet de faire constater l’achèvement des travaux et de déclencher les garanties légales de parfait achèvement, biennale et décennale.
  • Pour le constructeur, elle met fin à son obligation de garde de l’ouvrage et permet d’obtenir le règlement du solde du marché (sauf clause contractuelle contraire).

Ainsi, la réception judiciaire sécurise la relation contractuelle en actant juridiquement la fin du chantier, tout en offrant une voie médiane en cas de désaccord persistant.

L’arrêt du 30 janvier 2025 réaffirme que cette réception peut être assortie de réserves, même si le maître d’ouvrage n’a émis aucune observation à la date retenue par le juge pour prononcer la réception.

Cela renforce la protection du maître d’ouvrage : l’acceptation judiciaire de l’ouvrage ne suppose pas sa parfaite conformité, mais son aptitude à être utilisé, même si certains désordres doivent encore être traités et peuvent être couverts par les garanties légales.

  1. Réception judiciaire avec réserves… mais sous conditions

Si l’arrêt du 30 janvier 2025 confirme que la réception judiciaire peut être assortie de réserves, il ne signifie pas pour autant que tous les désordres peuvent être couverts par cette procédure.

En pratique, cela soulève une question centrale : quelles réserves sont compatibles avec une réception judiciaire ? La jurisprudence admet cette réception lorsque les désordres relevés sont mineurs ou n’affectent pas l’usage normal de l’ouvrage. Mais dès lors que les malfaçons sont trop importantes, la demande de réception est irrecevable.

Ainsi, des désordres d’une gravité telle qu’ils empêchent de considérer l’ouvrage comme étant en état d’être réceptionné — par exemple en cas d’inhabitabilité ou de non-conformité majeure — peuvent justifier un refus de réception judiciaire. Il ne suffit donc pas que l’ouvrage soit simplement achevé ; il doit être apte à sa destination.

La jurisprudence l’illustre clairement :

  • 3e civ., 19 juin 1993, n°94-15.865 : refus de réception judiciaire en raison de malfaçons majeures affectant l’usage de l’ouvrage.
  • 3e civ., 27 juin 2019, n°18-14.249 : exclusion de la réception judiciaire d’un bâtiment jugé inhabitable.

En somme, si la réception peut juridiquement s’accompagner de réserves, encore faut-il que celles-ci ne présentent pas un caractère rédhibitoire, c’est-à-dire qu’elles ne compromettent pas la fonctionnalité minimale attendue de l’ouvrage.

  1. Un rôle délicat pour l’expert : équilibre entre désordres visibles et état recevable

L’évaluation de l’aptitude de l’ouvrage à être reçu repose souvent sur l’avis d’un expert, qu’il s’agisse d’un technicien amiable ou d’un expert judiciaire.

Or, sa mission est particulièrement délicate car il doit :

  • déterminer si l’ouvrage était en état d’être reçu à la date retenue pour la réception,
  • identifier les désordres présents,
  • et préciser s’ils étaient apparents ou non, c’est-à-dire susceptibles de faire l’objet de réserves.

Cet exercice implique un jugement nuancé : certains désordres visibles peuvent justifier des réserves sans faire obstacle à la réception, tandis que d’autres – s’ils rendent l’ouvrage inutilisable – peuvent la rendre impossible.

En somme, l’expert est amené à arbitrer entre tolérance technique et gravité juridique.

Conclusion : La réception judiciaire avec réserves, un outil stratégique à manier avec prudence

L’arrêt du 30 janvier 2025 confirme que la réception judiciaire peut être prononcée avec réserves, même sans observation préalable du maître d’ouvrage. C’est un outil juridique important, permettant d’activer les garanties légales malgré une situation de blocage.

Mais cette souplesse implique rigueur et anticipation :

  • Une expertise sérieuse est nécessaire pour établir que les désordres n’ont pas un caractère rédhibitoire.
  • Il faut également déterminer si ces désordres étaient visibles à la date retenue par le juge pour prononcer la réception, car s’ils sont considérés comme apparents à cette date, ils seront réputés purgés. Dans ce cas, le maître d’ouvrage ne pourra plus se prévaloir des garanties légales (de parfait achèvement, biennale ou décennale) pour ces vices.